Palestine : sur l’hypocrisie turque

Palestine : sur l’hypocrisie turque

04.11.2023

Alors que depuis le 7 octobre et l’assaut lancé par le Hamas, l’armée israélienne commet un carnage à Gaza et qu’une intervention terrestre vient juste de commencer, le président autocrate turc Recep Tayyip Erdoğan s’est particulièrement fait remarquer par sa présence. D’abord comme potentiel « médiateur » entre le gouvernement israélien et le Hamas puis – alors que la stratégie israélienne semblait prendre des contours de plus en plus clairement génocidaires – en tant que défenseur acharné de la cause palestinienne.

Lors du rassemblement organisé par son parti le samedi 28 octobre, il a ainsi pu accuser Israël de commettre des « crimes de guerre » et d’essayer « d’éradiquer » les Palestiniens, déclarant que « [laTurquie serait] aux côtés du peuple palestinien contre la persécution d’Israël ».

Ce n’est pas la première fois qu’ Erdoğan se présente ainsi en tant que chantre de la défense du peuple palestinien contre l’occupant israélien.

Cependant, la temporalité de ces déclarations les rends plus malvenus que jamais. Cette résurgence de la question palestinienne arrive en effet juste après d’énièmes attaques turques visant la société du nord-est syrien (Rojava).

Entre le 5 et le 9 octobre, la Turquie a en effet lancé une attaque d’envergure contre les infrastructures civiles du Rojava. En quelques jours, quelques 580 attaques aériennes et terrestres ont ciblé les infrastructures vitales du territoire (centrales électriques, installations hydrauliques, stations de pompages, cliniques, écoles, etc.). Au total, 104 sites d’infrastructures civiles ont été détruits, endommagés ou mis hors service, tuant 44 personnes et affectant 5 millions de personnes.

Cette offensive s’inscrit dans un conflit qui alterne depuis 5 ans phase de basse intensité et de haute intensité. Les attaques de la Turquie sont quotidiennes dans la région, que cela soit au Rojava (nord de la Syrie) ou au Başur (nord de l’Irak) où l’État turc n’hésite pas à utiliser des armes chimiques.

Elles ont toutes un but précis : détruire le projet de société démocratique, écologique, multiethnique, multiculturel et soutenant l’auto-organisation des femmes qui est porté par une partie des peuples de la région et qui est depuis 2013 en cours d’implémentation dans les zones sous contrôle de l’AANES (Administration autonome de la Syrie du Nord et de l’Est, qui englobe le Rojava). Ce, alors que le reste de la Syrie a été ravagé aussi bien par le régime dictatorial d’Assad que par les divers groupes islamistes radicaux aujourd’hui soutenus à bout de bras par le régime turc.
Au nord du Rojava, l’armée turque a déjà envahi deux territoires, occasionnant des centaines de milliers de déplacés : les régions d’Afrin (depuis mars 2018) et de Serêkaniyê (octobre 2019). Les groupes pro-turcs y ont organisé pillage et nettoyage ethnique : kidnappings, viols et meurtres sont devenus quotidiens.

Ainsi, alors qu’Erdogan n’hésite pas à jouer la plus haute indignation concernant les attaques israélienne contre le peuple palestinien, il mène pourtant exactement la même politique contre les peuples de l’AANES.
Pire, cette politique a profité des nombreux accords militaires signés par le passé entre la Turquie et Israël.
À partir du milieu des années 1990, c’est en effet Israël qui a permis à la Turquie de moderniser son équipement militaire. En 1996, deux accords de coopération permettent à la Turquie de bénéficier de transferts technologiques, de passer des contrats d’armement avec les firmes israéliennes, de profiter de ses compétences en maintien de l’ordre et de voir naître une coopération de leurs services secrets. Dans un contexte où les pays occidentaux sont, sous la pression de leur opinion publique, mois enclins à passer ce type d’accords avec la Turquie – les atteintes aux droits de l’homme dans les territoires kurdes commençant à se voir – cette coopération israélo-turque est une bouffée d’air. Ces nouveaux moyens lui permettront de renforcer sa lutte contre le PKK et la société kurde.

Il est à noter que c’est cette coopération qui a amorcé le programme de développement de drones de l’État turc : ses premiers drones ont été des heron, de conception israélienne. Aujourd’hui, la Turquie utilise intensément ses propres drones (fabriqués désormais entièrement en Turquie) pour mener ses campagnes d’assassinat ciblés et de déstabilisation au Kurdistan.

Si la coopération militaire entre Israël et la Turquie a été gelée en 2010 suite à l’incursion violente d’Israël sur le navire humanitaire turc Mavi Marmara, au cours de laquelle au moins dix personnes ont été tuées ; la coopération entre le MIT et le MOSSAD a officiellement repris il y a peu. Et cela n’empêche pas par ailleurs l’État d’Israël de participer directement aux projets d’expansion pan-turcs.
En effet, Tel-Aviv est un soutien de poids de « l’allié naturel » de la Turquie, qu’Erdogan a pris l’habitude d’évoquer sur le mode « Deux États, une nation » : l’Azerbaïdjan.

Si ces dernières années, l’Azerbaïdjan – tirant profit des énormes ressources d’énergies fossiles à sa disposition – a pu moderniser son armée en comptant sur la Turquie et en particulier sur ses drones Bayraktar TB2, c’est surtout d’Israël (dont 40 % de son approvisionnement en pétrole dépend de l’Azerbaïdjan) que le pays a pu importer l’essentiel de son armement.
Ainsi, ce qui a pu permettre à l’Azerbaïdjan d’avoir le dessus sur l’Arménie en 2020 n’est pas tant l’envoi par la Turquie de mercenaires syriens (les mêmes qui ont perpétré des massacres à Afrin et à Serêkaniyê) et l’utilisation de ses drones Bayraktar TB2 que les nombreux armements israéliens vendus ces dernières années à ce pays (69 % des armements azéris ont été fournis par Israël pour la période 2016-2020).
Recep Tayyip Erdoğan et Ilham Aliyev, le dictateur azerbaïdjanais, sont tous les deux héritiers du panturquisme, une idéologie raciste, ségrégationniste et anticommuniste. Développée tout d’abord par les Jeunes-Turcs, au crépuscule de l’empire Ottoman, cette idéologie avait comme but de créer un « état touranien » unifiant au sein d’un seul état les peuples turcs des Balkans à la Chine – les arméniens comme les kurdes gênant ce projet.
La liquidation du Haut-Karabakh et la création du corridor dit de Zangezur sur le territoire arménien permettra à la Turquie d’être en liaison directe avec l’Azebaïdjan et à ouvrir la route de l’Asie centrale. Ainsi, l’ambition d’Erdoğan de faire de la Turquie une incontournable puissance régionale d’Istanbul à semble être en passe de se réaliser.

Si l’on ajoute à cela l’interventionnisme turc en Libye, en méditerranée orientale ainsi que ses prétentions jamais éteintes sur Alep et Mossoul (que la présence des forces kurdes empêchent d’atteindre), on arrive à un panorama d’ensemble qui n’a strictement rien à envier aux prétentions du « Grand Israël » prôné par les néoconservateurs au pouvoir en Israël.

Il serait ainsi désastreux de prendre au sérieux les gesticulations d’Erdoğan à propos de la Palestine. La politique expansionniste turque le rattache bien davantage à la politique de Benjamin Netanyaou, qui est d’ailleurs un partenaire de taille, qu’au peuple palestinien. Il serait ridicule de penser que la Turquie puisse proposer quoi que ce soit d’émancipateur pour les peuples de la région, comme le propose par exemple le projet politique du confédéralisme démocratique, actuellement expérimenté au nord-est de la Syrie.
De tels discours ne peuvent servir à Erdogan qu’à renforcer son soft-power dans le monde arabe et au-delà, en se présentant comme le protecteur des opprimés. Mais sous le vernis hypocrite, c’est des intérêts bien compris et la même politique nationaliste, suprématiste et expansionniste qui est défendu ici et là-bas.

Et en Israël, en Turquie, comme ailleurs, il n’est jamais bon de laisser des États-nations réaliser leurs ambitions expansionnistes.

#Riseup4Rojava

Alors que depuis le 7 octobre et l’assaut lancé par le Hamas, l’armée israélienne commet un carnage à Gaza et qu’une intervention terrestre vient juste de commencer, le président autocrate turc Recep Tayyip Erdoğan s’est particulièrement fait remarquer par sa présence. D’abord comme potentiel « médiateur » entre le gouvernement israélien et le Hamas puis – alors que la stratégie israélienne semblait prendre des contours de plus en plus clairement génocidaires – en tant que défenseur acharné de la cause palestinienne.

Lors du rassemblement organisé par son parti le samedi 28 octobre, il a ainsi pu accuser Israël de commettre des « crimes de guerre » et d’essayer « d’éradiquer » les Palestiniens, déclarant que « [laTurquie serait] aux côtés du peuple palestinien contre la persécution d’Israël ».

Ce n’est pas la première fois qu’ Erdoğan se présente ainsi en tant que chantre de la défense du peuple palestinien contre l’occupant israélien.

Cependant, la temporalité de ces déclarations les rends plus malvenus que jamais. Cette résurgence de la question palestinienne arrive en effet juste après d’énièmes attaques turques visant la société du nord-est syrien (Rojava).

Entre le 5 et le 9 octobre, la Turquie a en effet lancé une attaque d’envergure contre les infrastructures civiles du Rojava. En quelques jours, quelques 580 attaques aériennes et terrestres ont ciblé les infrastructures vitales du territoire (centrales électriques, installations hydrauliques, stations de pompages, cliniques, écoles, etc.). Au total, 104 sites d’infrastructures civiles ont été détruits, endommagés ou mis hors service, tuant 44 personnes et affectant 5 millions de personnes.

Cette offensive s’inscrit dans un conflit qui alterne depuis 5 ans phase de basse intensité et de haute intensité. Les attaques de la Turquie sont quotidiennes dans la région, que cela soit au Rojava (nord de la Syrie) ou au Başur (nord de l’Irak) où l’État turc n’hésite pas à utiliser des armes chimiques.

Elles ont toutes un but précis : détruire le projet de société démocratique, écologique, multiethnique, multiculturel et soutenant l’auto-organisation des femmes qui est porté par une partie des peuples de la région et qui est depuis 2013 en cours d’implémentation dans les zones sous contrôle de l’AANES (Administration autonome de la Syrie du Nord et de l’Est, qui englobe le Rojava). Ce, alors que le reste de la Syrie a été ravagé aussi bien par le régime dictatorial d’Assad que par les divers groupes islamistes radicaux aujourd’hui soutenus à bout de bras par le régime turc.
Au nord du Rojava, l’armée turque a déjà envahi deux territoires, occasionnant des centaines de milliers de déplacés : les régions d’Afrin (depuis mars 2018) et de Serêkaniyê (octobre 2019). Les groupes pro-turcs y ont organisé pillage et nettoyage ethnique : kidnappings, viols et meurtres sont devenus quotidiens.

Ainsi, alors qu’Erdogan n’hésite pas à jouer la plus haute indignation concernant les attaques israélienne contre le peuple palestinien, il mène pourtant exactement la même politique contre les peuples de l’AANES.
Pire, cette politique a profité des nombreux accords militaires signés par le passé entre la Turquie et Israël.
À partir du milieu des années 1990, c’est en effet Israël qui a permis à la Turquie de moderniser son équipement militaire. En 1996, deux accords de coopération permettent à la Turquie de bénéficier de transferts technologiques, de passer des contrats d’armement avec les firmes israéliennes, de profiter de ses compétences en maintien de l’ordre et de voir naître une coopération de leurs services secrets. Dans un contexte où les pays occidentaux sont, sous la pression de leur opinion publique, mois enclins à passer ce type d’accords avec la Turquie – les atteintes aux droits de l’homme dans les territoires kurdes commençant à se voir – cette coopération israélo-turque est une bouffée d’air. Ces nouveaux moyens lui permettront de renforcer sa lutte contre le PKK et la société kurde.

Il est à noter que c’est cette coopération qui a amorcé le programme de développement de drones de l’État turc : ses premiers drones ont été des heron, de conception israélienne. Aujourd’hui, la Turquie utilise intensément ses propres drones (fabriqués désormais entièrement en Turquie) pour mener ses campagnes d’assassinat ciblés et de déstabilisation au Kurdistan.

Si la coopération militaire entre Israël et la Turquie a été gelée en 2010 suite à l’incursion violente d’Israël sur le navire humanitaire turc Mavi Marmara, au cours de laquelle au moins dix personnes ont été tuées ; la coopération entre le MIT et le MOSSAD a officiellement repris il y a peu. Et cela n’empêche pas par ailleurs l’État d’Israël de participer directement aux projets d’expansion pan-turcs.
En effet, Tel-Aviv est un soutien de poids de « l’allié naturel » de la Turquie, qu’Erdogan a pris l’habitude d’évoquer sur le mode « Deux États, une nation » : l’Azerbaïdjan.

Si ces dernières années, l’Azerbaïdjan – tirant profit des énormes ressources d’énergies fossiles à sa disposition – a pu moderniser son armée en comptant sur la Turquie et en particulier sur ses drones Bayraktar TB2, c’est surtout d’Israël (dont 40 % de son approvisionnement en pétrole dépend de l’Azerbaïdjan) que le pays a pu importer l’essentiel de son armement.
Ainsi, ce qui a pu permettre à l’Azerbaïdjan d’avoir le dessus sur l’Arménie en 2020 n’est pas tant l’envoi par la Turquie de mercenaires syriens (les mêmes qui ont perpétré des massacres à Afrin et à Serêkaniyê) et l’utilisation de ses drones Bayraktar TB2 que les nombreux armements israéliens vendus ces dernières années à ce pays (69 % des armements azéris ont été fournis par Israël pour la période 2016-2020).
Recep Tayyip Erdoğan et Ilham Aliyev, le dictateur azerbaïdjanais, sont tous les deux héritiers du panturquisme, une idéologie raciste, ségrégationniste et anticommuniste. Développée tout d’abord par les Jeunes-Turcs, au crépuscule de l’empire Ottoman, cette idéologie avait comme but de créer un « état touranien » unifiant au sein d’un seul état les peuples turcs des Balkans à la Chine – les arméniens comme les kurdes gênant ce projet.
La liquidation du Haut-Karabakh et la création du corridor dit de Zangezur sur le territoire arménien permettra à la Turquie d’être en liaison directe avec l’Azebaïdjan et à ouvrir la route de l’Asie centrale. Ainsi, l’ambition d’Erdoğan de faire de la Turquie une incontournable puissance régionale d’Istanbul à semble être en passe de se réaliser.

Si l’on ajoute à cela l’interventionnisme turc en Libye, en méditerranée orientale ainsi que ses prétentions jamais éteintes sur Alep et Mossoul (que la présence des forces kurdes empêchent d’atteindre), on arrive à un panorama d’ensemble qui n’a strictement rien à envier aux prétentions du « Grand Israël » prôné par les néoconservateurs au pouvoir en Israël.

Il serait ainsi désastreux de prendre au sérieux les gesticulations d’Erdoğan à propos de la Palestine. La politique expansionniste turque le rattache bien davantage à la politique de Benjamin Netanyaou, qui est d’ailleurs un partenaire de taille, qu’au peuple palestinien. Il serait ridicule de penser que la Turquie puisse proposer quoi que ce soit d’émancipateur pour les peuples de la région, comme le propose par exemple le projet politique du confédéralisme démocratique, actuellement expérimenté au nord-est de la Syrie.
De tels discours ne peuvent servir à Erdogan qu’à renforcer son soft-power dans le monde arabe et au-delà, en se présentant comme le protecteur des opprimés. Mais sous le vernis hypocrite, c’est des intérêts bien compris et la même politique nationaliste, suprématiste et expansionniste qui est défendu ici et là-bas.

Et en Israël, en Turquie, comme ailleurs, il n’est jamais bon de laisser des États-nations réaliser leurs ambitions expansionnistes.

#Riseup4Rojava


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